Réflexion : quel est l'intérêt d'un récit de combat ?
Sur le chemin de l'école, des Collégiens discutent..
"L'amour
heureux n'a pas d'histoire dans la littérature occidentale. Et
l'amour qui n'est pas réciproque ne passe point pour un amour vrai.
La grande trouvaille des poètes de l'Europe, ce qui les distingue
avant tout dans la littérature mondiale, ce qui exprime le plus
profondément l'obsession de l'Européen : connaître à travers la
douleur, c'est le secret du mythe de Tristan, l'amour-passion à la
fois partagé et combattu, anxieux d'un bonheur qu'il repousse,
magnifié par sa catastrophe, -- l'amour réciproque malheureux."
"Considérez
notre littérature. Le bonheur des amants ne nous émeut que par
l'attente du malheur qui le guette. Il y faut la menace de la vie et
des hostilités qui l'éloignent dans quelque au-delà."
"Passion
veut dire souffrance, chose subie, prépondérante du destin sur la
personne libre et responsable. Aimer l'amour plus que l'objet de
l'amour, aimer la passion pour elle-même, de l'amabam amare
d'Augustin jusqu'au romantisme moderne, c'est aimer et chercher la
souffrance. Amour-passion : désir de ce qui nous blesse, et nous
anéantit par son triomphe. C'est un secret dont l'Occident n'a
jamais toléré l'aveu, et qu'il n'a cessé de refouler, - de
préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa résistance nous
invite à porter sur l'avenir de l'Europe un jugement très
pessimiste. [...]
Pourquoi
l'homme d'Occident veut-il subir cette passion qui le blesse et que
toute sa raison condamne ? Pourquoi veut-il cet amour dont l'éclat
ne peut-être que son suicide ? C'est qu'il se connaît et s'éprouve
sous le coup de menaces vitales, dans la souffrance et au seuil de la
mort. Le troisième acte du drame de Wagner décrit bien davantage
qu'une catastrophe romanesque : il décrit l'essentielle catastrophe
de notre sadique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût de
se connaître à la limite, ce goût de la collision révélatrice
qui est sans doute la plus inarrachable des racines de l'instinct de
la guerre en nous."
"
Denis
de Rougement, L'Amour
en occident,
1939